Le film Harcèlement ou le témoignage de l'identique par l'inversion des évidences
Le vrai-faux thriller érotique
Plaisir coupable, le thriller érotique vient assouvir de nombreux fantasmes, souvent les moins avoués, en imaginant les situations les plus fantaisistes. Cependant, son projet s'avère un peu plus machiavélique. Son apparence trompeuse des plus aguicheuses vous séduit dès les premières minutes pour progressivement vous tordre le cou avec des sujets houleux et sensibles. Insidieusement, on vous appâte par l'érotique pour vous servir du thriller. Dans ce genre-là, on ne joue pas seulement avec l'émotion du spectateur pour générer de l'expérience, on use aussi de la sensualité pour l'émoustiller et le rendre vulnérable à des aspects dramatiques d'un autre ordre, généralement bien plus sombres.
Le film Harcèlement s'inscrit avec brio dans cette branche cinématographique tout en renversant la convention du genre. Sans prévenir, une rupture implacable dans le récit fait l'effet d'une douche froide. À partir de la seule et unique scène de sexe, ce thriller érotique se transforme en un strict thriller qui vient faire redescendre brutalement votre excitation. Ce qui devait être émoustillant et accessible au travers d'un voyeurisme tout à fait décomplexé prend la forme d'un délit dont le spectateur a été témoin. C'est alors que l'érotisme ne fait que réduire, au point d'en rendre le film complètement débandant. Le moment est si torride qu'il en devient abusif, ce qui vient automatiquement entraver voire interdire la ré-jouissance du public.
Ainsi, le film connait un twist de genre dès l'incipit. Pour vous sensibiliser à la thématique du harcèlement sexuel, il vous attire par l'idée d'un film sulfureux pour finalement vous délivrer un film de prétoire décortiquant l'acte sexuel réprouvé. Dans une mise en abyme judicieuse, le débat moral destiné au public est encadré par l'intrigue judiciaire pour être également soumis à l'appréciation des personnages. La scène de sexe devient donc le prétexte à toutes les autres et le point de départ à la quête de vérité du héros.

LA STRATÉGIE DU FILM
La promesse : sortir des sentiers battus pour faire triompher l'inédit
Au risque de divulguer le contenu et les ressorts du film, l'idée est de porter l'attention sur sa stratégie fondamentale pour en prouver la spécificité et la pertinence.
Prise au dépourvu, mon dernier visionnage m'a laissé une impression tenace, bien plus impérissable que mon expérience de jeunesse où je n'y avais vu que la scène torride, le conflit hargneux entre les deux personnages et le renversement de situation jubilatoire dans l'affaire. Cette fois, c'est l'intelligence et l'audace du traitement du thème qui m'ont saisie. À tel point que j'y ai vu un pari courageux, bien plus porteur et engageant que tous les drames sociaux français qui viennent dicter sans relâche les bonnes façons d'agir en société, défendant un altruisme aussi creux qu'indécent. Ici, on vous déroule le tapis rouge pour vous amener jusqu'au débat moral. Un vrai débat moral, et non un guide de ce que doit être l'humain au regard d'une certaine idéologie. Nous ne sommes pas dupes. Deux principes facilitent et rendent possible ce débat moral : un droit à l'erreur de parcours et un droit à l'imperfection indispensables à la construction dramatique des personnages. C'est typiquement dans ce genre d'écriture que vous pouvez avoir la certitude que le scénariste estime votre intelligence et votre humanité et qu'il fait confiance à vos capacités de compréhension et d'empathie.
Accrochez-vous, l'angle d'attaque adopté par le film n'est pas sans promesse. De prime abord, il traite du harcèlement sexuel et des rapports de pouvoir qui existent dans tout milieu professionnel. Jusque-là, il est possible de recenser de nombreuses références de films qui sont venues illustrer ce type de situation. À juste titre, les possibilités dramatiques qu'offre ce thème sont infinies mais les expérimentations cinématographiques ont souvent été bridées et conventionnelles, rendant les traitements pauvres et redondants. Or, de manière tout à fait originale et jusqu'alors jamais-vu, Harcèlement vient s'intéresser à un cas de figure impensable, à savoir celui du harcèlement sexuel que subit un homme par une femme. En abordant cette situation inédite, le récit s'intéresse à deux profils minoritaires, l'homme victime et la femme agresseuse, d'autant plus que cette dernière n'apparaît pas sous son jour habituel, notamment en comparaison des développements précédents. Seriez-vous capable de décrire à quoi ressemble une femme agresseuse dans la croyance collective et dans sa représentation cinématographique ?
Ici, le scénario vient construire une situation retorse afin de tout déconstruire. Victime ambiguë, cet homme apparaît comme un personnage irréprochable aux circonstances de vie idylliques dont l'exposition au travail laisse tout de même entrevoir un comportement possiblement critiquable. L'agresseur est également pensé dans ce réseau complexe de circonstances en étant complètement à contre-courant des choix évidents. Cette fois, l'agresseur est une femme, personnage de pouvoir à la virilité exacerbée. Toutes les tendances traditionnelles sont inversées.
Alors que la question du sexe des personnages semble primordiale, elle apparaît finalement secondaire jusqu'à se dissoudre, et ainsi permettre d'approcher réellement le phénomène de l'agression pour le rendre universel.

Deux questions préliminaires permettent de donner le ton pour la suite. Est-ce que la virilité est un attribut moral d'homme pouvant être reconnu exceptionnellement chez une femme ou est-ce un attribut pouvant être associé à l'homme et la femme malgré les préjugés ? Les attributs moraux généralement attribués à un sexe plutôt qu'un autre sont-ils essentiels ou arbitrairement essentialisés au regard des tendances d'une époque ou d'une civilisation ?
Le renversement de l'évidence du sujet féminin comme victime et du sujet masculin comme prédateur
Instinctivement, on pourrait penser qu'un sujet féminin aurait été un meilleur vecteur du drame et de la gravité de l’acte ou que ce choix aurait été plus fidèle à la réalité et donc légitime à l'écran. En pointant cette injonction du réalisme, j'interroge le principe de l'identification et invoque l'importance du point de vue de l'auteur au regard des vrais enjeux oubliés du cinéma, à savoir ceux qui consistent à mettre en lumière ce qui est justement caché et de toujours chercher la justesse du traitement par-delà les évidences, notamment sans pression politique ou idéologique.
Justement, le film fait une démonstration remarquable de cette mise en lumière grâce à une stratégie de traitement surprenante. C'est au travers de l'agression sexuelle d’un sujet masculin que le phénomène de l'agression sexuelle en général éclate avec une force nouvelle. Luttant contre les préjugés rattachés à son genre, cette difficulté particulière que rencontre le héros à simplement faire reconnaître la réalité de son agression contribue à son apparition plus franche, à la définition plus nette de son contour, notamment grâce à son insistance et son acharnement à convaincre les réticents. C'est donc son combat pour la visibilité qui rend le phénomène plus apparent, plus apparaissant et donc saisissable par contraste. Cette méthode permet la révélation, celle qui peut provoquer la prise de conscience du spectateur qui perce-voit enfin la chose cachée.

Tout le long du film, le récit de cet homme agressé est dénigré et contesté, littéralement considéré inconcevable. Pire, sa revendication prend une forme risible.
Comment un homme peut-il dire « non » aux avances d'une femme, qui plus est si son physique est considéré avantageux ? Comment un homme peut-il prétendre avoir subi un acte forcé de la part d'une femme ? Comment un homme peut-il confondre le plaisir avec une agression sexuelle ?
En tant que victime de sexe masculin, la remise en question des faits ne vient pas ébranler la sincérité de son récit ou la possible brutalité de son expérience. Dans le meilleur des cas, il est reconnu non responsable de ce « débordement », appréciation suivant un principe de présomption de culpabilité systématique (il n'est pas responsable de ce dont il aurait dû être normalement accusé). Pourtant, le mépris de son statut de victime soulève des problématiques sociologiques non négligeables. Cette absence de considération de l'agression touche à la notion d'efficience et à la visibilité de l'événement en tant qu'impossibilité d'exister. En plein déni collectif, nous sommes face à un principe de négation d’une réalité car estimée inférieure, insuffisante, irrecevable ou sublimée. Les hommes n'ont tout simplement pas la possibilité d'être considérés agressés sexuellement au même titre que les femmes. En quelque sorte, il n'existe qu'une configuration acceptable. Pour qu'un homme puisse être reconnu agressé, il faudrait qu'il le soit par un autre homme. Cette considération qui fait exception vient confirmer là encore que le principe qui prime, c'est la reconnaissance péremptoire de l'homme agresseur sur une pluralité de victimes indifférentes.
Ainsi, il y a une double erreur qui entretient cette chimère et qui conduit à faire fausse route malgré les bonnes intentions :
1. que les hommes ne sont que des agresseurs et les femmes que des victimes. En espérant un développement psychologique optimum pour tous les individus, cette considération est anti-constructive. Que ce soit pour les hommes ou pour les femmes, elle rend impossible la création d'une autre croyance de soi, celle permettant de dépasser l'injonction première. Étant donné la complexité et l'importance de ce point, il sera développé ultérieurement. 2. que les agressions sont tenues par une question de genre alors que c'est une question de pouvoir. C'est d'ailleurs la démonstration centrale du film. La transgression et l'abus sont motivés et permis par une posture de pouvoir et d'autorité, celle qui donne arbitrairement et unilatéralement à cette femme un droit d'agir sur l'autre au gré de son désir.
« That they can come into my home, between me and my wife, move my family, take away my job and the place I built for myself and I apologize? Call me a rapist and I apologize? It's like some kind of a joke. Sexual harassment is about power. When the hell did I ever have any power? » Tom Sanders
Pour prévenir l'agression, l'anticiper et permettre aux individus de s'en prémunir — que ce soit en tant que victime mais aussi en tant que potentiel agresseur qui s'ignore — il est important de révéler le mécanisme insidieux, généralement inaccessible sans un effort de conscience, et non d'en faire les constats sociologiques actuels qui ne révèlent rien d'autre que des chiffres en conséquence de causes toujours inconnues.
En partant de ces croyances genrées bien ancrées, des attitudes différentes de « victime » en découlent. Alors que la femme va devoir prouver les agissements répréhensibles de son agresseur et qu'elle n'a pas été trop désirable au point de l'avoir incité (1), l'homme va devoir prouver son incapacité à résister par la force face à son agresseur et démontrer la légitimité de son statut de victime au regard de la norme (2). Respectivement, l'un est une victime admissible et l'autre non, en même temps que le premier est un agresseur impossible tandis que l'autre l'est sans conteste. En conclusion, la femme est tentatrice et l'homme est prédateur par défaut.
Pour toute situation d'agression, il en découle une présomption d'innocence pour la femme et une présomption de culpabilité pour l'homme.

La reconnaissance de l'égalité des potentiels entre hommes et femmes : un pas vers l'individuation et l'universalité
En théorisant l'homme comme essentiellement agresseur et la femme essentiellement victime, il y a la recréation d'une nouvelle constitution, l'imposition d'une condition qui devient nécessairement indéfectible. Sans penser à mal, on se retrouve inévitablement dans une forme de stigmatisation, la même qui forme des considérations clichées et sans conscience contribuant à la reproduction collective des schémas par introjection en masse. S'attaquer à l'éventuelle reproduction d'un schéma, c'est avant tout en faire la généalogie et remonter à son point d'origine pour en comprendre le réacteur originel. Affligés par cette tolérance zéro, les hommes et les femmes vont passer la majorité de leur vie à essayer de composer avec cette étiquette, croyance établie au préalable et sans concertation.
Dans cette appréhension essentialisante, les hommes et les femmes sont sévèrement dépourvus de deux choses.
D'abord, les genres ainsi stigmatisés privent les individus de libre arbitre et d'une perspective existentielle. L'essence de mon genre vient-elle conditionner mes agissements individuels ? Faut-il hiérarchiser des niveaux d'incidence entre les tendances d'un genre et les choix d'un individu ? Connoter les agissements, n'est-ce pas incriminer ou acquitter arbitrairement et donc biaiser la responsabilité individuelle ?
Ensuite, chaque personne se retrouve privée de son entièreté psychique, de cet état d'individuation où notre meilleure et notre pire version dialoguent et évoluent tout le long de la vie. Ai-je le droit d'avoir en puissance toutes les dimensions de l'être humain ? Comment être effectivement victime si je n'ai pas moi-même la capacité d'être bourreau ? Comment supposer le fait de ne pas être agresseur si je n'ai pas cette prédisposition ? Comment établir une différence entre hommes et femmes si les deux ne sont pas constitués des mêmes principes en présence variable ?

Comment comprendre la mécanique d'un phénomène s'il est abusivement appréhendé de manière genrée, réduit à un seul pan de sa manifestation, bien que ce pan soit majoritaire ?
Statistiquement, les agresseurs sont principalement recensés de sexe masculin. Ce constat indubitable n'est pas remis en cause dans ce développement mais il ne justifie pas pour autant le fait d'essentialiser l'agression comme étant un agissement typiquement et strictement masculin. À noter que les femmes agresseuses existent et que le sujet est lui-même tabou bien que grandissant. Cette occultation en est pernicieuse pour les victimes hommes et femmes mais également pour appréhender cette tendance existant chez la femme.
« You controlled this meeting. You set the time. You ordered the wine. You locked the door. You demanded service and you got angry when he didn't provide it. Ms. Johnson, you have proven that a woman in power can be every bit as abusive as a man. » Catherine Alvarez
Sans concession, le film Harcèlement vient contrecarrer ces conceptions. Son génie, ce n'est pas seulement d'offrir une visibilité aux victimes de genre masculin, c'est de traiter de l'universalité de l'agression sexuelle au travers de cette expérience précise. L'affaire remportée dans le film semble servir la cause des hommes dans l'immédiat alors que cet effort de visibilisation et de reconnaissance sert surtout de jurisprudence à toutes les victimes, hommes et femmes, prouvant que la mécanique qui est mise en lumière repose sur des leviers similaires d'abus et de minimisation dans tous les cas. La théorie de l'essentialisation des genres s'effondre dans le même temps, rendant vaine la stigmatisation qui enferme les individus dans le schéma dominant de l'agression. L'ennemi n°1, c'est seulement le pouvoir qui permet la transgression dans un total sentiment d'impunité.
Au fond, il est peut-être nécessaire de s'intéresser au cas les plus minoritaires pour toucher à l'essence des choses. Ici, l'inaccessibilité à la vérité rend la démarche de divulgation plus puissante encore. Ce qui est profondément caché est donc un obstacle moteur pour la dramaturgie, générant une expérience toujours plus efficiente et manifeste aux yeux du public.

Court-circuiter la doxa ou comment s'attaquer à la réticence potentielle du spectateur à l'égard de la situation du héros
C’est au travers de ce challenge dramatique — réussir à faire valoir l'efficience et la réalité du récit du héros — que l’agression sexuelle en général resurgit avec force comme une préoccupation pour le spectateur. Cet effort de démonstration que délivre le film permet de générer le passage de l’indifférence et de l’ignorance à la considération et la (re)connaissance. Les enjeux de représentation au cinéma sont si élevés qu'ils font de ce médium un révélateur puissant.
Le processus d'identification du film est lui aussi hors du cadre habituel des récits. À n'en point douter, l'équipe de mise en scène a bien conscience des enjeux d'inconscience de la société au moment de son développement. Ils savent pertinemment qu'ils s'attaquent à une forte réticence de spectateur, statistiquement élevée. Le but est justement de renverser la balance et de générer la prise de conscience.
Au départ, le spectateur ne doit pas nécessairement s'identifier au héros, bien que le but du réalisateur est d’en arriver à cette identification, car il est initialement assimilé au réseau de personnages sceptiques et indifférents. Cet écart est fondamental, c’est le chemin à parcourir pour le public tout le long du film.
D'ailleurs, l'identification ne repose pas spécialement sur le fait d'avoir subi la même expérience que le héros mais sur le fait de comprendre la difficulté avec laquelle le héros cherche à faire reconnaître son vécu méprisé. L'identification n'est pas liée au sujet mais à la compréhension du rapport volonté/obstacle inhérent à l'histoire du héros. Ce n'est pas parce que vous êtes un homme que vous ne pouvez être empathique qu'avec le récit de personnages masculins. Ce n'est pas parce que vous êtes infirmier que vous ne pouvez regarder que des films sur les infirmiers. Ce n'est pas parce que vous êtes célibataire sans enfants que vous ne pouvez regarder que des films avec des personnages célibataires et sans enfants. D'une part, vos projections imaginaires vous offrent des expériences authentiques qui vous vivez intérieurement et dont les vécus seront irréductiblement les vôtres. D'autre part, les enjeux d'identification reposent entre autres sur des ressentis et des émotions universaux tels que le manque, l'absence, la frustration, le désir, d'où l'importance de circonstances pertinentes, de bons objectifs et obstacles, et d'une bonne appréhension des situations de la vie. L'empathie d'un spectateur envers une situation tient à la bonne recréation de ces ressentis par le film. Les enjeux dramatiques viennent s'intéresser au récit et au traitement du sujet (pertinence de l'histoire, cohérence et crédibilité, justesse du développement et du point de vue, intéressement et compréhension du public) alors que les enjeux identificatoires viennent s'intéresser aux ressentis et vécus du spectateur (compréhension des enjeux intérieurs du héros et de son environnement, reconnaissance des vécus universels, partage des ressentis du héros, lisibilité émotionnelle du rapport objectif/obstacle, universalité du thème).

Le but du film est de venir bousculer les croyances passives du spectateur, celles qui sont adoptées parce qu'elles font l'unanimité, qu'elles épousent les évidences premières ou qu'elles répondent à système de croyances collectives qu'il n'est jamais bon de venir remettre en question. Sa stratégie, c'est d'offrir tout le long de l'histoire un éclairage maitrisé qui accompagne la prise de conscience progressive du spectateur. Étape par étape, en se servant aussi des témoignages et plaidoiries lors des scènes de médiation, les idées sont présentées au spectateur dans un ordre précis afin de générer compréhension et sentiment d'évidence.
Incontestablement, le film s'attaque au traitement d'une situation délicate et part d’une adhésion non acquise. Alors que l'opposition à son point de vue reste palpable, il maintient la complexité de son sujet et entretient un rapport non consensuel avec le spectateur. Cette ambivalence, perturber le spectateur et lui frayer un chemin bienveillant, est une démarche à la fois sincère et salvatrice.
LA THÈSE DU POUVOIR OU « LE JEU DE L'HOMME »
La femme de pouvoir agresseuse : le profil inconcevable
Manifestement, le profil de la femme de pouvoir agresseuse ne serait pas crédible. Le cinéma en témoigne, ce développement n'a jamais existé car aucun récit n'avait eu l'audace de mettre une femme dans cette position supérieure et ainsi capable du pire. Quelques films récents ont développé des récits avec des femmes de pouvoir sans jamais tendre vers des comportements répréhensibles ou abusifs. Est-ce ce potentiel agressif qui est impensable ou une stature aussi dominante qui l'est ?
En regardant attentivement les films existants, les agresseuses ont effectivement été représentées mais les traitements employés en disent long sur certains préjugés. En effet, elles ne sont jamais dans une position de pouvoir et de pleine conscience de ce pouvoir mais toujours dotées de problèmes psychiatriques, en position d'infériorité socialement, sujette à la fascination d'un homme puissant. Ce qui manque, c'est l'indépendance dans cette jouissance. Sans conteste, ces choix en restent dramatiquement intéressants mais cette posture — celle de femme de pouvoir — apparaît définitivement aussi inédite qu'impensable.
En s'intéressant à la manière dont les femmes sont représentées lorsqu'elles cherchent à dominer, une question s'impose : Si l'homme est présenté comme prédateur par essence et non la femme, cette dernière est-elle prédatrice en étant nécessairement malade mentalement ? Pourtant si l'un des sexes est considéré malade mentalement lors de ce type d'agissements, pourquoi l'autre sexe n'aurait pas le droit à ce même diagnostic ? À l'inverse, peut-on envisager chez la femme une potentialité prédatrice en puissance étouffée ou censurée ?
Au fond, le récit cherche à prouver que lorsque la femme agresse, cela peut être aussi par un défaut d'éducation ou de tempérament, par manquement psychologique ou mauvais jugement moral, par la démonstration d'une contre construction culturelle. Il n'y a pas seulement un motif de fascination ou un trouble psychiatrique derrière cet acte (bien que ce motif pourrait également arriver en position de pouvoir)

Le « jeu de l'homme » brillamment adopté par la femme en position de pouvoir
Dans le film Harcèlement, le personnage de Meredith Johnson est absolument déroutant. Incroyablement virile, elle exprime avec une totale aisance sa connaissance des (en)jeux de pouvoir, des abus qui s'exercent, affirmant vouloir en user au même titre que les hommes, ces derniers qui ont confectionné ce jeu auquel elle souhaite elle-même participer.
Pleine de potentiel, Meredith est une femme compétente dans son métier, prouvant assez rapidement qu'elle est aussi particulièrement compétente dans cette arène. Est-ce lié ou indépendant ?
Au gré de ses répliques, on peut réaliser qu'elle en a pleinement conscience et qu'elle ne s'en cache pas. Ici, Meredith ne joue pas à l'homme en inhibant son propre sexe mais elle s'intègre plutôt en tant que femme dans ce jeu de pouvoir. Elle le fait en tant que femme capable d'adopter les agissements culturellement admis de l'homme.
Visant cette ascension au sommet, elle use des attraits avantageux culturellement reconnus à la femme : son physique et ses atouts, le désir qu'elle suscite, sa connaissance des artifices féminins efficaces et emploie les mêmes types d'attraits attribués aux hommes qu'elle sait également maîtriser : la stabilisation qu'elle provoque par son attitude virile (en contraste avec l'attitude féminine censée être plus douce), son agressivité latente et son habilité à gérer le conflit, sa robustesse et sa capacité à supporter la pression, sa compréhension des mécanismes du pouvoir.
« I played the game the way you guys set it up and now I'm being punished for it. » Meredith Johnston
Ce qui la rend si redoutable, c'est d'être en maîtrise des atouts féminins et masculins. Est-ce qu'en acceptant sa fragilité, dont celle d'être un homme victime, Tom Sanders ne finit pas par devenir aussi fort, si ce n'est plus fort qu'elle à ce jeu des sexes où priment des croyances erronées et des préjugés ?
La revanche féminine pour sortir de la victimisation ordinaire ou comment être pour et contre son sexe en même temps
C'est dans un sentiment de revanche que Meredith Johnston œuvre dans ce milieu. Ayant pleinement conscience des préjugés que subissent les femmes, elles cherchent à en être la démonstration inverse, l'antithèse désormais puissante, brillant par sa féminité prodigieuse et virile au milieu des hommes. Elle s'exalte dans cette posture et dans sa manière d'être « meilleure que les hommes à leur propre jeu ».
Sans scrupule, elle se valorise comme femme hors normes, quitte à mépriser plus généralement la dynamique de son sexe qu'elle semble elle-même identifier comme faible. Elle met en avant le fait qu'elle est une femme telle qu'on ne l'attend pas. Cette attitude fait complètement écho à une rivalité féminine bien entretenue, tendance ordinaire qui repose sur un principe d'écrémage, les femmes faisant d'abord une présélection entre elles-mêmes pour que les meilleures, considérées comme des élues, accèdent in fine à un niveau supérieur de compétition tenu par les hommes. Là où le film fait une nouvelle fois preuve d'intelligence, c'est qu'il vient justement s'attaquer à ce mythe de la rivalité féminine pour mettre en avant des personnages féminins solidaires, capables de dépasser ce jeu puéril et témoignage d'un sabotage collectif. Ces personnages secondaires, d'un grade inférieur bien que qualifié, viennent justement contredire le discours et la pratique de Meredith Johnston.
Au travers de cette illustration, on en revient au jeu du pouvoir. Plus la place désirée est rare et inaccessible pour une certaine caste, plus les individus de cette dernière vont sacrifier leur propre identité pour s'assimiler au groupe qui détient et régit l'accès à cette place. Le singulier est sacrifié, le groupe est sacrifié, la norme délibérément discriminante devient l'objet du conflit et l'outil de la domination.
« That's a good idea for a girl, huh? (laughs) » Meredith Johnston
Par-delà le désir de vengeance initiale, il y a aussi la blessure. Il y a en Meredith un besoin d'échapper à ce statut de victime tenace qui poursuit le genre féminin. En revendiquant sa peau dure, elle écarte toute assistance ou ménagement généralement accordée aux femmes. Par ailleurs, derrière sa complicité avec la gent masculine se cache sans doute une colère liée au fait que les hommes aient la mainmise sur ces postes de pouvoir qu'elle souhaiterait à la portée des femmes, à sa portée, sans devoir redoubler d'efforts.
On sent chez elle cette jubilation et cette fierté d'être à hauteur d'homme, cette potentialité qui l'émancipe de ce carcan étouffant et victimaire qu'entretient la société. À défaut d'être seulement ambitieuse et acharnée, elle prend en modèle ces figures masculines impitoyables et assume son droit et sa volonté d'être du même acabit. En faisant cela, ce qu'elle cherche à se prouver, c'est qu'elle ne sera jamais victime, comme si c'était finalement le moyen de sortir de la victimisation de son sexe.
N'ayant pas réussi à se construire en s'émancipant de cette image réductrice, et donc d'assumer pouvoir être victime et bourreau au même niveau de potentialité, Meredith cherche à se défaire d'un extrême imposé en tendant vers un autre radical qui devrait l'en libérer, quitte à adopter une attitude répréhensible et enfreindre délibérément les limites. Enfreindre le cadre, c'est aussi une manière de s'assurer d'en être sorti.
Alors que Meredith a vaillamment combattu les préjugés de son sexe l'empêchant d'atteindre les postes de pouvoir, elle contraint les hommes à vaincre les propres préjugés de leur sexe qui leur empêchent d'être reconnus victimes.

Le jeu de pouvoir : la source de l'abus et des dérives
Rapidement, le film vient s'intéresser à ce jeu du pouvoir et à ses leviers, montant que pour réussir à prouver le harcèlement ou l'agression, il faut surtout révéler la répartition inégale des pouvoirs et les rapports de domination qui favorisent les abus. Dans cette approche, l'acte sexuel est présenté comme un moyen d'exercice de cette ascendance, comme caractérisation de la nature de la domination et non comme motif en soi de cet acte. Cette appréhension du délit sexuel ne retire en rien la gravité de l'agissement et l'importance du traumatisme, bien au contraire. Pour réussir à obtenir justice, il faut comprendre le mécanisme qui le soutient et établir ce qui a permis l'existence de cette situation. Ce sont précisément ces aspects qui vont venir mettre le doigt sur les circonstances de l'agression : la pression exercée, le consentement bafoué, le caractère inapproprié de la situation initiale, etc.
« Sexual harassment is not about sex. It's about power. She has it. You don't. » Catherine Alvarez
Au sein de l'entreprise, on comprend très vite qu'il existe une hiérarchie du pouvoir. En effet, les rapports de domination sont interdépendants et établis par niveau. Dans cette chaîne, on est tous le bourreau et la victime de quelqu'un. Ainsi, Tom Sanders victime de Meredith Johnson est lui-même bourreau de sa secrétaire. Meredith Johnston pouvant être victime de quelqu'un ayant l'ascendant sur elle.
Le film prend la peine d'offrir cette compréhension à son héros, ce dernier finissant par appréhender ce milieu avec un regard nouveau et réalisant qu'il a possiblement eu un comportement abusif. La victime a donc ce potentiel agresseur, dans le même temps, ceci annulant en rien ces deux réalités concomitantes et distinctes.
Cette expérience en entreprise peut s'appliquer dans d'autres espaces dans lesquels hiérarchie et rapport de pouvoir peuvent s'inscrire. Le harcèlement sexuel au travail était certainement le prétexte le plus approprié pour étayer la thèse générale du film et la rendre lisible au spectateur.
Ce qui était donc revendiqué comme le « jeu de l'homme » devient seulement le « jeu du pouvoir », les sexes n'étant que des moyens différents d'atteindre une fin identique : domination et impunité.
LES CROYANCES AUTOUR DU DÉSIR
Le désir irrépressible de l'homme justifié par avec la désirabilité incompressible de la femme
En portant attention aux diverses croyances sociétales, on se rend compte qu'elles offrent une structuration bien arrangeante des rapports entre les deux sexes, la question du désir ne faisant pas exception. Quoi de plus facile que de justifier le désir débordant de l'homme par la désirabilité permanente de la femme ? C'est de cette manière qu'on arrive à maintenir l'inégalité entre l'homme et la femme à l'égard du désir, tout en justifiant préalablement les excès possibles de tout le genre masculin. Malgré les apparences, cet arrangement dessert autant la femme que l'homme.
En effet, les choses pourraient se résumer ainsi : le désir de l'homme est considéré comme irrépressible car il est soumis au caractère désirable de la femme qui est lui-même incompressible tandis que le désir de la femme n'est pas reconnu de la même teneur car le caractère désirable de l'homme n'est quant à lui pas systématique.
En mettant le système à l'épreuve, l'édifice s'effondre pour laisser voir les intentions qui se cachent derrière cette chimère. En venant enfermer le désir de l'homme dans un principe libidineux incontrôlable et pulsionnel, c'est l'objectification et la désirabilité de la femme qui sont réellement mis en gage. Ce qu'il faudrait comprendre, ce serait que l'homme est pulsionnel pour des raisons biologiques, peut-être évolutionnaires, et que la femme n'a jamais ce désir conséquent et possiblement ravageur car l'homme n'est pas systématiquement désirable, même s'il est lui-même objectivement séduisant par ces attributs physiques tandis que la femme est systématiquement désirable même lorsqu'elle n'est pas objectivement attractive (phénomène fumeux que l'on pourrait nommer le syndrome loufoque de l'infirmière pas séduisante qui « donne la trique » si elle s'approche du sexe de l'homme).
Ce qui est donc démontré ici, c'est la dynamique des rapports de force justifiée et soutenue par des croyances sociétales autour de deux désirs prétendument dépendants et opposables, reposant sur un principe synergique. C'est la domination intégrée de l'un qui explique la soumission tout aussi intégrée de l'autre, bien que la théorie ne repose sur aucune véritable justification. Pour ce faire, la théorie sur le désir de l'homme a besoin de la théorie sur le désir de la femme, et réciproquement, afin de se légitimer mutuellement. C'est donc ici une cohérence tout à fait factice, une croyance dépourvue de preuves.
Sans attendre, il faudrait peut-être mettre l'accent sur le désir de la femme plutôt que sur son quotient de désirabilité, et ainsi rappeler que lorsqu'on évoque son désir, on fait d'elle un sujet. En effet, la désirabilité systématique de la femme lui retire de facto le choix d’être désirable, amenuise son emprise sur l’effet qu’elle produit ou qu’elle veut délibérément produire, et la réduit fatalement au risque de susciter du désir et donc de devoir en assumer les conséquences malgré elle. Vouloir susciter le désir, c'est déjà s'approprier la situation et marquer un début de consentement. En fin de compte, rappeler incessamment la désirabilité de la femme, c'est déjà soutenir l'idée d'une excitation inévitable de l'homme.
D'ailleurs, le film ne manque pas de prouver que ces croyances sur le désir peuvent être dangereuses, surtout si elles sont utilisées avec malveillance. Alors que la désirabilité de la femme est normalement une excuse utilisée par l'homme pour exprimer son désir irrépressible justifiant un débordement, ici c'est la femme agresseuse qui va user de cet argument pour faire délibérément accuser l'homme d'un abus indubitable et anéantir sa posture de victime. Et si cette croyance originairement profitable pouvait vraiment causer du tort à l'homme ?

Le désir féminin : un désir lui-même en droit d'être possiblement irrépressible à l'instar de celui de l'homme
Dans cette peur désormais commune de rendre les choses infiniment complexes et nuancées, le désir se retrouve lui aussi littéralement genré, donnant à chacun des sexes une tendance particulière et prétendument essentielle.
Le désir féminin est généralement appréhendé comme contenu et contrôlable, étroitement corrélé au sentimental et d'une nature tendre, bien que possiblement fantasque. Autrement dit, le désir féminin est inoffensif. Comme évoqué plus haut, le désir masculin est quant à lui à son antithèse, notamment considéré comme débordant et incontrôlable, irrépressible, strictement distinct du sentiment amoureux, soit possiblement prédateur.
Ces appréhensions rigides contribuent en partie à l'impossibilité d'envisager la « femme agresseuse » et cela pour plusieurs raisons apparentes : l'absence d'une libido pulsionnelle et indépendante du sentiment, le caractère soi-disant limité et donc limitant de son abondance, la nature contrôlée et contrôlable du désir. Ce carcan vient littéralement éteindre la flamme du désir intérieur et empêche la création de projections d'un autre type.
Les femmes peuvent-elles être excitées et dépourvues d'affect dans leur intimité ? Une femme peut-elle être dotée de ce désir ardent en étant femme et non femme pervertie, femme imitant l'homme ? Et si la sexualité libre et épanouie des femmes reposait sur l'idée de sa meilleure et de sa pire version ?

Sous le joug d'une culture collective emprisonnante, la femme a longtemps été privée d'un épanouissement et d'une liberté sexuels. Au travers de cet interdit de la jouissance, toute énergie sexuelle s'annihile, dont la possibilité d'une sexualité plus extrême, pouvant devenir agressive et donc redoutable. Cette situation limitante vient aussitôt la réduire à son statut de victime tout en occultant son potentiel agresseuse. Par l'inhibition de sa polarité, la femme perd la possibilité d'un équilibre, celle d'une sexualité ambivalente qui la révèle entièrement. La perte est donc double, ne pas jouir et ne pas être entière.
En abordant le problème frontalement, on pourrait peut-être trouver la voie de la libération. Reconnaître à la femme la présence en puissance de cette sexualité outrancière qui ouvre les portes de l'abus, c'est justement lui permettre d'expérimenter et d'éprouver cette sexualité épanouissante et donc jouissive, celle dont elle est privée depuis des millénaires. La modalité de sa liberté sexuelle, c'est la liberté de choisir sa sexualité et de l'incarner au travers de toutes ses dimensions. Il y a une exploration intérieure à entreprendre - passant par la reconnaissance de deux absolus possibles - celle qui part de la frustration pour offrir la voie lumineuse et la voie obscure. S'envisager sous son mauvais jour, c'est autoriser l'émergence de son contraire. Le pire apparaît donc comme la condition sine qua none du meilleur.
En définitive, il est nécessaire d'admettre que ce double potentiel n'est pas nul mais qu'il a seulement été inactif, n'ayant pas rencontré un contexte propice à son enclenchement. Dans cette approche qui nie la face obscure faisant écho à la face lumineuse, on écarte la possibilité d'une complétude, celle d'un désir composé de son entière dimension et donc de son ambivalence. Une femme dotée d'une sexualité pleine, c'est un spectre plus large d'expression : à la fois l'opportunité d'une sexualité épanouie et réjouissante et celle d'un désir excessif qui peut prendre une forme incontrôlable. Les femmes sont-elles prêtes à défendre leur ombre pour s'émanciper ?
« I'm sexually aggressive woman. It's just the same damn thing since the begining of time. Veil it, hide it, lock it up or cut it off. We expect a woman to do a man's job and make a man's money but then walk around with a parasol and lie down for a man to fuck you, like it was still a hundred years ago. No thank you. » Meredith Johnston
LES CROYANCES AUTOUR DU CONSENTEMENT
Ce qui est particulièrement intéressant dans le film, c'est que le harcèlement est clairement mis en scène de manière ambigüe. En effet, le passage connaît plusieurs mouvements qui sèment le trouble dans l'appréciation des faits. Maintenir la complexité des situations apparaît comme la reconstitution la plus fidèle du réel. C'est le moyen de venir questionner le principe du consentement sous tous les angles, en faisant un condensé de plusieurs types de réactions, forçant le spectateur à décortiquer et à se poser les bonnes questions. Cet enchevêtrement reflète la réalité des situations d'agressions.
En résumé, le héros exprime d'abord explicitement son non-consentement avec insistance puis il finit par succomber en revenant vers l'agresseuse dans une réaction pulsionnelle pour ensuite statuer de nouveau sur un refus de l'acte.
De plus, le film confère au personnage masculin des ressources psychologiques et physiques pour justement éviter d’induire une impuissance notoire pouvant justifier son absence de réaction par indisposition ou faiblesse.

Est-ce qu'en revenant vers son « agresseuse », le personnage vient annihiler sa posture première, celle de victime non-consentante ? Le consentement est-il une posture qui se maintient ou un état de fait à un instant T ? Le corps est-il vecteur de signaux du consentement ? Comment faut-il trancher si la réaction du corps contredit la volonté de la victime, si le corps dit « oui » involontairement alors que l'individu exprime verbalement son refus ?
Le consentement n'est pas la manifestation du désir physique mais le positionnement moral
Les hommes souffrent de préjugés tenaces. Ce désir irrépressible avait tout l'air du bon plan, réjouissance et excès justifiés habilement, mais cette croyance s'avère tout aussi pernicieuse que les carcans plus évidents que se coltinent les femmes.
Au sujet du consentement, il devrait y avoir une différence fondamentale entre le désir de l'homme considéré irrépressible et son consentement d'ordre moral. Habituellement, son consentement est appréhendé en corrélation avec la réaction physique, comme si une érection était une validation en soi. Or le consentement ne correspond pas à la réponse physiologique ou au désir exprimé par le corps mais bel et bien à l'acceptation de la situation et à la permission donnée à l'autre d'accéder à notre propre corps.
Consentir, c'est être en accord avec le moment d'intimité et avec la naissance du désir. Consentir, c'est vouloir participer à cette situation. Consentir, c'est vouloir contribuer au maintien du désir et à sa progression. L'important, c'est donc la volonté et le positionnement moral de la personne. Avoir du désir qui se manifeste physiquement ne peut servir de signe de consentement permettant à l'autre d'insister et de rentrer dans un contact intime.
Ici, il est évidemment question d'un agresseur qui vient unilatéralement provoquer le désir et nécessairement de manière volontaire. Il n'est absolument pas question d'un désir suscité simplement par le fait d'être séduisant ou supposément « désiré » par l'autre. Le désir appartient à celui qui le ressent sans être répréhensible tant qu'il n'oppresse pas la personne concernée. Concrètement, il devrait y avoir l'expression physique ou verbale d'une tentative de séduction et l'insistance physique ou verbale d'un rapprochement ou d'un contact après un refus manifesté. Ici, sa supérieure vient susciter et contribuer à un désir qui n'est pas voulu.
« Oh, I forgot. (off notes) You resisted. » Avocat de Meredith Johnston
Tout le long du film, Tom Sanders va s'acharner à faire reconnaître cette distinction. Lors de son interrogatoire, il affirme qu'il a bel et bien eu une érection, qu'il trouve effectivement Meredith Johnston désirable, mais il rappelle surtout qu'il a manifesté verbalement sa position morale et son refus de participer à un moment intime avec sa supérieure avant de succomber et de consentir brièvement sous la pression.
Le positionnement moral : la jonction entre consentement de l'un et responsabilité de l'autre
Désirer, c'est l'expression d'une attraction à l'égard de quelque chose qui pourrait nous satisfaire ou qui nous plaît mais qui n'est pas encore passé sous l'autorité de notre volonté. Vouloir, c'est déjà se positionner et être impliqué moralement dans la réalisation de quelque chose, entreprendre le fait de le concrétiser et donc de l'assouvir. Dans la volonté, il y a déjà une intention incarnée visant quelque chose tandis que le désir apparaît en amont, avant d'être saisi par cette dernière.
Ainsi, un individu qui manifeste un désir (qui plus est, malgré lui), ce n'est pas son positionnement moral ni son consentement avéré. Mais alors, qu'en est-il de la volonté de l'agresseur ?
Si le consentement des victimes repose sur un principe de positionnement moral, la violation de ce consentement par l'agresseur doit l'être tout autant.
En tant qu'homme, commettre une agression sexuelle doit être considéré comme une décision d'ordre moral et non comme une pulsion déresponsabilisante ou tragiquement incontrôlable. Si un homme ne cherche pas à contrôler son désir et qu'il l'impose à autrui, il commet tout simplement un délit et doit être condamné pour cet acte. En outre, la justification psychiatrique s'inscrit dans des cas tout à fait isolés, valable pour tout le genre humain. Surtout, il n'y a pas de défenses suffisantes reposant sur des arguments physiologiques (bien qu'ils soient réels au regard de certaines hormones) ou sur quelconques théories évolutionnaires qui pourraient justifier l'imposition d'une relation sexuelle en raison d'une nature par essence abusive du genre masculin. Ce serait donc la seule faute à la testostérone ?
En tant que femme, il en est de même. Le motif psychologique ou psychiatre constamment employé ne répond pas à la problématique. Il met seulement l'accent sur une dimension avérée en la rendant exclusive et systématique, notamment parce qu'elle répond au récit tenable que le collectif cherche à maintenir (une femme malveillante est forcément déviante et non une posture en puissance). Encore une fois, c'est la croyance qui interdit d'envisager d'autres possibilités.
Ainsi, entre les deux parties d'une agression, il y a nécessairement une dépendance dans leur position. Sans différenciation entre les sexes, il y a tantôt un droit à la manifestation expresse d'un consentement, tantôt une responsabilité en cas de violation du consentement, tous deux valant positionnement moral vis-à-vis de la situation et de l'acte. L'ajustement de ces principes pour des questions de genre ne répond qu'à des considérations ou des croyances collectives qui statuent au regard de solides préjugés.

LES CROYANCES AUTOUR DE L'AGRESSION
Alors que l'on parle des corps - des corps en désir, des corps bafoués, des corps qui dressent des limites de propriété et d'autres qui s'y opposent par l'expression d'un pouvoir - on juge seulement les faits objectifs répondant à des considérations arbitraires, à un système rigide de compréhension, tout en occultant un aspect tout à fait fondamental : les intentions et les vécus des individus de part et d'autre.
Pour dépasser cette approche, revenons-en au phénomène de l'agression et à son essence, et essayons de répondre à ces questions d'apparence simple :
Qu'est-ce qu'une agression ? Est-ce le fait de bafouer la volonté d'autrui et d'enfreindre la limite imposée ? Y a-t-il agression seulement s'il y a un enjeu d'agression physique et donc l'exigence d'une riposte physique à hauteur ? Être considéré agressé, est-ce donc imposer une limite, voir quelqu'un l'enfreindre et devoir signaler cette infraction jusqu'à expérimenter l'insistance de l'agresseur et donc devoir nécessairement répondre physiquement ? Reste-t-on agresseur si l'on a dépassé une limite mais que l'on s'est rétracté après quelques résistances ? Reste-t-on victime si l'on résiste d'abord mais que l'on succombe sous la pression ?
La condition physique de l'homme : avantage ou tare ?
Curieusement, un homme ne peut être considéré comme agressé bien que son positionnement explicite de refus ait été enfreint par autrui. Cette impossibilité reste inchangée même en ayant tantôt reconnu l'insistance de l'infraction par l'agresseur tantôt identifié la persistance du refus de la victime. En effet, l'homme, identifié comme sexe abusivement dominant dans nos sociétés, est dépourvu d'un droit de faiblesse. Peu importe les individualités et les variables, cette option ne lui est pas offerte. S'il est dominant par la position de son genre, il doit pouvoir dominer son agresseur ou bien s'en mordre les doigts de ne pas être capable d'exercer cette domination pour se défendre.
On se retrouve face à un paradoxe tout à fait révélateur. D'un côté, on tente de faire reconnaître l'existence d'une domination masculine que l'on voudrait dissoudre et de l'autre, on afflige l'homme d'une obligation de domination dans ses rapports et on le destitue de toute attitude contraire. C'est pourtant tout ce qu'on devrait espérer d'une véritable égalité des sexes, que l'homme assimile de manière apaisée sa vulnérabilité et qu'il en dispose. La construction sociétale fantasmatique de l'homme est tributaire de celle de la femme, et vice versa. Reconnaître les possibles abus et élans de domination de la femme, c'est admettre la possible faiblesse et fragilité de l'homme.
Dans le cas de la femme agressée, on lui reconnaît plus aisément l'incapacité physique de répondre face à la force masculine relativement induite. En revanche, l'homme devrait pouvoir se dresser physiquement pour empêcher l'infraction et donc canaliser l'agression d'une femme, notamment pour ce même motif de la corpulence.

Concrètement, les réactions à la disposition des hommes apparaissent comme étant multiples. Dans un cas de figure typique où l'homme se fait agresser par une femme, il pourrait user de la force et « lui mettre deux gifles » (pour reprendre des termes déjà entendus), il pourrait la balayer d'un geste et partir les mains dans les poches parce que « c’est trop facile », et puis il a aussi le droit d’avoir été intimidé, manipulé et abusé. Son « non » et son impuissance ont autant de valeur que ceux d’une femme, notamment lorsqu'un homme a assimilé une version de lui-même non violente et vulnérable.
Ces considérations paraissent inoffensives mais elles conditionnent pourtant sévèrement notre appréhension des genres et des rapports qui se tissent entre eux. L'idée n'est pas de considérer l'homme à l'opposé du préjugé qui lui colle à la peau comme s'il fallait naïvement défendre son contraire mais plutôt de l'envisager dans son ambivalence, en laissant au genre une chance de se construire dans toute sa possibilité et dans toute son ampleur.
Le rapport de force : enjeu relatif au consentement et au statut de victime
Le statut de victime ne s'établit qu'en fonction de règles liées au rapport de force. D'après le modèle de notre société, l'agressé ne peut être que celui qui subit l'infraction exercée par un pouvoir ou une force expressément plus forte et non celui qui se laisse subir l'infraction, bien que la limite ait été explicitement verbalisée. Cette croyance vient complexifier, voire même dénaturer la situation. En effet, elle oblige la victime à faire une déclaration à charge bien que la limite ait été enfreinte (pour établir à quel point l'agresseur était-il suffisamment fort pour exercer un pouvoir m'empêchant de réagir), mettant ainsi l'agresseur en posture de « rebrousseur de limites » (il existe donc un seuil de tolérance aussi questionnable que mouvant bien que l'infraction ait été clairement identifiée) et reconnaissant à la victime l'obligation de s'impliquer dans l'agression. En raison des conditions physiologiques des hommes, ils sont jugés avec d'autant plus de sévérité à cet égard en tant que victime.
Pourtant, il est à mon sens entendable que résister à une agression et y participer ajoute un préjudice supplémentaire au préjudice initial. La résistance et la riposte ne sont pas à la portée de tous en raison de capacités psychologiques individuelles mais aussi de principes personnels. Dans le cadre desdits principes, agresser un agresseur est en soi une posture imposée qui peut pousser l'individu à la violation de ses valeurs (tout comme le fait de refuser l'utilisation d'une arme bien qu'elle soit à proximité lors d'une agression). Ainsi, ce refus de participer à un acte d'agression devrait donc être autorisé et légitimé. Quid de ceux qui tuent leur agresseur et encourent la perpétué ?
Qui plus est, résister à une agression ajoute un enjeu performatif. Il faudrait donc savoir se défendre et suffisamment, sans reconnaître au cas par cas des faiblesses ou des incapacités de répondre à hauteur ou qualitativement par rapport à l'agression (un homme reconnu objectivement fort corporellement devrait obligatoirement savoir s'imposer et anéantir l'infraction d'un agresseur à corpulence plus faible). Il y a donc un jugement et une appréciation sur les performances mentales de réaction (avoir les ressources psychologiques pour se dresser face à un agresseur) et les capacités physiques de réponse (je fais 30 kg de plus que mon agresseur, je serais donc dans l'obligation de savoir user de ma force mieux que lui). Pourtant, qui peut confirmer un rapport systématique entre la possession d'un attribut et la qualité d'exécution de cet attribut, notamment en situation de stress